Quoi de mieux pour susciter l’inspiration d’une créatrice de bijoux que de visiter des musées de faïences et de poteries. J’ai donc profité de séjours fréquents en Espagne pour visiter le musée des faïences de Manisès, une petite ville située à côté de Valencia.

Faïence de Manisès- 1La poterie de Manisès n’est pas très connue en France. Et pourtant… Manisès, petite ville méditerranéenne de plus de 31 000 habitants, est internationalement reconnue pour son artisanat céramique, qui remonte au XIIè siècle et dont la production est basée sur la technique islamique du lustrage à l’or. Elle a été l’une zones les plus importantes dédiées à la céramique en Espagne et c’est de là que proviennent quelques uns des styles céramiques les plus importants de la culture valencienne.

On peut facilement trouver des exemplaires de ces céramiques dans les musées du monde entier, dans lFaïence de Manisès es châteaux, comme dans les palais royaux de toute l’Europe. Ces céramiques à lustre métallique, véritables fleurons de l’art « hispano-mauresque », n’ont cessé d’attiser la convoitise des collectionneurs et représentent une référence obligatoire dans n’importe quelle étude ou recherche sur la céramique.

On trouvera dans l’index en fin de cet article la définition de tous les mots en italique rencontrés au long de ce texte)Céramique de Manisès -2La production de Manisès

En plus de la céramique hispano-mauresque au lustre historique, Manisès a aussi produit de la poterie à glaçure jaune typique avec des taches vertes, très populaire dans toute l’Espagne.

Sur les pièces de la ligne Manisès on peut apprécier des scènes basées sur la nature, ou d’autres qui recréent des champs, avec des moulins et d’autre motifs de la campagne et du travail dans les vergers. Ceci est très caractéristique de la zone où ce style de céramique est né et qui est très cher aux artisans qui les élaborent.

Faïence de Manisès - 4Faïence de Manisès-3

Le carrelage basé sur le style de la céramique de Manisès est de petit format, évoquant l’époque où les premières pièces furent fabriquées, à l’aide de couleurs basiques qui pouvaient s’obtenir à l’époque. Ce sont des pièces de beauté très particulière qui offrent une image vintage très attrayante et élégante.

Lorsque la production dut s’adapter à la demande de plus en plus grande, on utilisa d’autres techniques comme la polychromie et surtout, le bleu qu’on associe de nos jours directement avec la ville (tel qu’on peut le voir sur l’image suivante, sur le fronton du Musée de la ville)

Le bleu caractéristique du fronton du Musée de Manisès
Le bleu caractéristique du fronton du Musée de Manisès

 

Histoire

On a trouvé dans les fouilles archéologiques du sous-sol de Manisès de la poterie décorée au lustre bleu et/ou or. En dehors de la poterie étaient fabriqués à la même époque des carrelages produits par les maîtres d’œuvre mauresques. Cette faïence de Manisès aux reflets dorés et bleus, était appelée “produit de Valence” ou “Majorque” (majolique), en raison de l’origine des marchands de mer qui en faisaient le commerce.

À l’origine, le commerce de la faïence de Manisès a donné naissance à des entreprises d’exportateurs, d’abord italiens, chypriotes et turcs, puis catalans et majorquins, qui partaient du port de Valencia avec de la faïence, de la poterie et des carreaux emballés dans de grands pots (“cossis”) remplis de corde et de paille. Les principaux clients se trouvaient en France, dans diverses principautés italiennes, en Sicile, à Venise, en Turquie et à Chypre, et surtout dans le royaume de Naples,

Entre le XIVe et le XVIe siècle, la céramique à reflets métalliques et à décor bleu de Manisès atteint une renommée internationale. Elle est très prisée par princes et pontifes, ainsi la cour d’Alphonse le Magnifique, qui devint une vitrine pour ces faïences. Les papes Calixte III et Alexandre VI ont également intégré ces céramiques dans les salles du Vatican.

Faïence de Manisès - 5
              Faïence de Manisès – 4

Du XVIIe au XIXe, l’évolution des goûts et de la mode fait tomber en désuétude la production d’objets décoratifs et utilitaires. De même, au XVIIIè siècle on rencontre en particulier l’influence de la Real Fábrica de Loza y Porcelana de Alcora voisine et l’émigration des potiers due à des problèmes de main-d’œuvre. Il devient alors nécessaire d’associer la production de poteries à une autre activité céramique : la fabrication de carreaux de faïence aux vives polychromies et aux motifs imaginatifs, utilisés en tant que pièces décoratives, motifs symboliques ou éléments de construction. Cette reconversion permet à la production de Manisès de connaître un nouvel essor.

Un plafond en faïence de Manisès
                  Un plafond en faïence de Manisès

Au XXe siècle, l’Art nouveau a été une nouvelle période de prospérité pour le secteur, lié à l’art architectural, faisant de Manisès un paysage vivant de la céramique, aujourd’hui protégé par la loi.

En 1941, après la guerre civile espagnole, Manisès vivait de son industrie céramique, avec quatre-vingt usines et environ cinq mille ouvriers (dont trente pour cent de femmes). Les nouvelles technologies et les nouveaux besoins ont permis d’étendre à ce moment la production historique à de nouveaux composants de matériel sanitaire et électrique.

A l’époque moderne, l’art et l’artisanat restent des moteurs de la croissance économique de la ville et un pilier de son identité culturelle. Coexistent dans son artisanat de nombreux styles et techniques incorporant les toutes dernières avancées technologiques, sans pour autant renoncer à la céramique traditionnelle, qui est le fruit et le témoignage d’une culture artisanale séculaire.

Aujourd’hui, la ville de Manisès est toujours liée à cet artisanat. La ville recense en effet plus de 46 entreprises et artisans, 3 grandes associations (dont 2 ont une portée nationale), 2 centres officiels d’enseignement de la céramique (parmi lesquels l’École supérieure de Céramique a été la première en Espagne), qui compte un pourcentage élevé d’étudiants et un Musée de la Céramique renommé qui propose plus de 10 expositions temporaires par an.

Le calendrier des événements qui se déroulent à Manisès autour de l’artisanat comprend notamment la Biennale internationale de la Céramique, qui a fêté son 50è anniversaire en 2022 et qui rassemble des artistes d’une quarantaine de pays. On peut citer aussi le Festival de la Céramique (Cabalgata de la Cerámica), qui allie céramique, musique et gastronomie, et auquel assistent plus de 40 000 personnes.

 

Le Musée

Musée de Manisès (Espagne)
Partie frontale du Musée de Manisès où se situe l’entrée

Le Musée de la céramique se trouve dans un ancien manoir du XVIIIe siècle et appartenant à la famille Casanova Dalfó Sanchis Causa, cédé à la ville pour la création d’un musée municipal. Ce Musée compte actuellement plus de 5000 œuvres, principalement des céramiques produites sur place, dont plus de 1000 sont exposées, dans un arc chronologique qui s’étend du XIVe siècle à la première moitié du XXe siècle.

Ancien procédé de démoulage des faïences de Manisès
                                         Ancien procédé de démoulage des faïences de Manisès

Une salle en particulier est consacrée aux procédés de fabrication, au travers des photographies et d’outils originaux. On y trouve des argiles et la préparation des pâtes, la réalisation de la forme, du glaçage, de la décoration et de la cuisson ; ce qui permet de mieux comprendre les processus de production et les caractéristiques techniques de cette céramique de Manisès. A noter un four de cuisson à réflexion métallique réalisé par le dernier constructeur de fours de type arabe, José Rodrigo Cerveró (Manisès, 1909-1988).

Les modèles - Fabrication des faïences de Manisès
                                           Les modèles – Fabrication des faïences de Manisès

On trouve aussi dans une autre salle trois grandes innovations technico-productives qui ont été adoptées au XXè siècle et qui ont eu une grande répercussion dans le secteur de la faïence décorée : le feldspath pisé; l’utilisation de moules en plâtre pour simplifier le processus de reproduction en grandes séries de la forme de tout type de pièce, notamment celles de profils compliqués ou à reliefs ; et l’utilisation de l’aérographe pour réaliser les décorations peintes d’une partie importante de la production.

Faïence de Manisès- moderne 1
Faïence de Manisès- moderne 1
Faïence de Manisès- Moderne 2
Faïence de Manisès- Moderne 2

 

J’aime pour ma part énormément cette faïence et j’ai eu la chance d’en admirer une dans une habitation tout près de Valencia.

De la même manière, j’ai pu récupérer deux lustres magnifiques que j’espère arriver à intégrer dans mon nouveau logement (je viens de déménager).

N’hésitez pas à aller visiter le petit musée de Manisès, il ne paye pas de mine, mais il en vaut vraiment la peine, pour qui s’intéresse aux faïences et à l’art de la poterie décorée.

 

 

Lectures

La riche typologie de la céramique de Manisès a été spécifiquement étudiée dans plusieurs manuels, dont un exemple est le Vocabulaire de la céramique de Manisès, publié en 1933 par Francesc Almela i Vives

 

Index :

Aérographe : Pulvérisateur projetant de l’encre ou de la couleur liquide, par un jet d’air comprimé.

Céramique : Tout objet constitué d’argile qui a subi des transformations chimiques sous l’action d’une chaleur supérieure à 600°

Émail : matière vitrifiable recouvrant les différentes céramiques

Faïence : Matériau céramique peu vitrifié et opaque, blanc ou coloré,  recouvert d’un émail spécifique cuit à une température inférieure à celle de la pâte.

Feldspath : minéral à structure en lamelles, à éclat vitreux, de la famille des tectosilicates (sous-groupe de la famille des silicates, avec une architecture à charpente tridimensionnelle). Il existe de nombreux feldspaths, dont les principaux sont l’orthose ou le microcline, l’albite et l’anorthite.

Glaçure : émail cuit à la même température que le support

Lustre : surface métallique iridescente sur les glaçures, les couleurs et les solutions métalliques. Forme de décoration. On applique une fine couche de certains métaux liquides sur la surface d’un émail cuit.

Majolique : nom donné à la poterie stannifère italienne, cuite à 950/1050°C

Polychromie : procédé qui consiste à appliquer des couleurs variées sur un monument, un meuble, une sculpture, ou à utiliser des matériaux diversement colorés pour son exécution.

Poterie stannifère : On distingue deux grands types de faïences : faïence dite “stannifère” à pâte colorée revêtue d’une glaçure opacifiée à l’oxyde d’étain (comme les faïences hispano-mauresque, de Moustier, de Marseille, de Rouen, de Nevers, de Strasbourg, etc) et la faïence à pâte blanche revêtue d’une glaçure transparente colorée ou non (comme la faïence islamique, la faïence fine anglaise, etc).

Porcelaine : céramique à tesson non poreux, translucide si les parois sont fines. Apparue en Chine au tournant des IXè et Xè siècles.

Poterie : désigne des vases et récipients à usage le plus souvent domestique ou culinaire réalisés en terre cuite poreuse qui peuvent rester bruts ou recevoir un revêtement en glaçure.

La faïence de Manises (en Espagne), une décoration traditionnelle qui revient avec force

Un avis sur « La faïence de Manises (en Espagne), une décoration traditionnelle qui revient avec force »

  • 23 mars 2024 à 10h11
    Permalien

    Excellent ! Une belle découverte !

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